Claire d’Assise : Oser l’intelligence de l’humilité.

 

Claire d’Assise :

Oser l’intelligence de l’humilité.

‎4 ‎juillet ‎2008

 

« L’humilité est l’intelligence de celui qui ose, la modestie, l’orgueil de celui qui n’ose pas », écrit Denis Marquet. « J’ose quand je redoute un acte – me jeter à l’eau, changer de vie – mais que je ne m’abstiens pas pour autant. » 

La nuit qui suivit le dimanche des Rameaux Claire a osé la grande aventure : sans fanfaronnade, consciente sans nul doute des difficultés qui l’attendaient, mais sans pour autant neutraliser son désir. Elle sort par une porte dérobée dont l’accès était encombré de pierres, de terre et de gravats. Fidèle à l’intuition la plus profonde qui la propulsait hors du cocon de la demeure familiale, elle suit son désir sans savoir par quel chemin, sinon qu’il est celui de la Mort-Résurrection de Jésus. Quelle audace chez cette toute jeune femme ! J’aime la voir passer par la petite porte, la porte cachée, inconnue du grand public : l’accès au bonheur est notre secret et notre travail, notre « grande affaire personnelle ». J’aime la voir se pencher jusqu’à la terre, la prendre à pleines mains pour déblayer le passage : assumer l’humus, faire acte d’humilité avant de pouvoir courir, légère, aérienne et solaire, sans soulever la poussière du chemin. Ces images sont hautement symboliques. La terre et la lumière : Claire la terreuse et la lumineuse ! Oui, pendant toute sa vie elle a assumé les deux aspects de sa destinée, et qui font notre destinée à tous : l’audace dans l’humilité.

Pour oser braver la peur et l’angoisse inhérentes au désir, qu’est-ce qui la meut de l’intérieur ? Rien de moins que la conviction que nous sommes à l’image de Jésus Miroir de Dieu. « L’âme de l’homme est plus grande que le ciel puisqu’elle seule peut contenir son créateur, il suffit pour cela de posséder la charité. » Encore cette double certitude : nous sommes miroir, mais si le non-amour obscurcit la surface de notre âme l’image ne ressemble plus à rien. Audace de sa vision anthropologique et humble réalisme. Pose ton regard, dépose, repose – ose, ajouterions-nous dans la foulée. La contemplation nourrit son audace et la garde de tout orgueil.

Claire sait que tout ce qu’elle a et est, elle l’a reçu de Dieu. C’est au travers de tout un jeu de miroirs, comme elle le dit si bellement, que la filiation s’est transmise : le reflet de la gloire divine elle l’a lu dans les yeux de son bien-aimé Seigneur Jésus, dans le regard illuminé de François, dans l’amour de sa mère Ortolane et dans l’humble sourire des sœurs de Saint-Damien… Ce reflet brille en toutes choses et se transmet à travers tous les êtres, à l’infini. Rien ne lui appartient, tout lui a été donné et elle le rend en grâce tout au long de sa vie. Comment ne pas oser tout ce qu’elle a reçu : la vie avec la mort, la pauvreté avec la sororité, l’attachement avec la liberté, et jusqu’à l’humble exultation finale : « Béni sois-tu, Seigneur, toi qui m’as créée. » Oui, oser la vie ! Oser la précarité de Saint-Damien, oser la proximité des lépreux et des indigents, oser la confrontation avec le pape, oser l’amitié de François, oser le contact avec le frère un peu fou et la sœur désespérée, oser le partage d’un maigre morceau de pain, oser les larmes de la prière et oser l’émerveillement devant les beaux arbres fleuris…

Mais oser l’intelligence de l’humilité c’est aussi retrouver l’unité de la création aimée de Dieu. Dès lors plus rien ne peut la séparer de son amour, ni les succès ni les revers. D’une rive à l’autre des contradictions de l’existence, Claire recueille la pulsation de l’amour, elle sait détecter, dans chaque rencontre et à travers toute situation, la présence féconde du Bien-Aimé. Cette altérité maintient son désir vivant, le stimule sans cesse, et jusqu’à la fin l’appelle à la vie. « Je suis né pour naître », disait Pablo Neruda. Lorsque, sur son lit de mort, Claire demande à frère Genièvre « qu’as-tu de neuf à me dire sur Dieu ? », n’est-ce pas ce qu’elle nous dit à sa manière : j’étais née pour naître, et me voici arrivée, de désir en désir, au seuil de l’Eternelle Naissance ! 

Sœur Christine Daine