Claire d’Assise :
Oser l’intelligence de l’humilité.
« L’humilité est l’intelligence de celui qui ose, la modestie, l’orgueil de celui qui n’ose pas »,
écrit Denis Marquet.
La nuit qui suivit le dimanche des Rameaux Claire a osé la grande aventure de sa vie : sans fanfaronnade, consciente sans nul doute des difficultés qui l’attendaient, mais sans pour autant neutraliser son désir. Quelle audace chez cette toute jeune femme ! J’aime la voir passer par la petite porte cachée, inconnue du grand public : l’accès au bonheur est notre secret et notre travail, notre « grande affaire personnelle». J’aime la voir se pencher jusqu’à la terre, la prendre à pleines mains pour déblayer le passage : assumer l’humus, faire acte d’humilité avant de pouvoir courir, légère, aérienne et solaire, sans soulever la poussière du chemin.
Pour oser braver la peur et l’angoisse inhérentes au désir, qu’est-ce qui la meut intérieurement ? L’étonnante conviction que nous sommes à l’image de Jésus, Miroir de Dieu. « L’âme de l’homme est plus grande que le ciel puisqu’elle seule peut contenir son créateur, il suffit pour cela de posséder la charité ». Audace de sa vision anthropologique et humble réalisme. « Pose ton regard sur la plus beau des enfants des hommes », dépose, repose – ose, ajouterions-nous dans la foulée. La contemplation nourrit son audace et la garde de tout orgueil.
Claire sait que tout ce qu’elle a et est, elle l’a reçu de Dieu. C’est au travers de tout un jeu de miroirs, comme elle le dit si bellement, que la filiation s’est transmise : le reflet de la gloire divine elle l’a lu dans les yeux de son bien-aimé Seigneur Jésus, dans le regard illuminé de François, dans l’amour de sa mère Ortolane et dans l’humble sourire des sœurs de Saint-Damien… Comment ne pas oser tout ce qu’elle a reçu : la vie avec la mort, la pauvreté avec la sororité, l’attachement avec la liberté, et jusqu’à l’humble exultation finale : « Béni sois-tu, Seigneur, toi qui m’as créée. » Oui, oser la vie ! Oser la précarité de Saint-Damien, oser la proximité des lépreux et des indigents, oser la confrontation avec le pape, oser l’amitié de François, oser le contact avec le frère un peu fou et la sœur désespérée, oser le partage d’un maigre morceau de pain, oser les larmes de la prière et oser l’émerveillement devant « les beaux arbres fleuris »…
Mais oser l’intelligence de l’humilité c’est aussi retrouver l’unité de la création aimée de Dieu. Dès lors plus rien ne peut la séparer de son amour, ni les succès ni les revers. D’une rive à l’autre des contradictions de l’existence, Claire recueille la pulsation de l’amour, elle sait détecter, dans chaque rencontre et à travers toute situation, la présence féconde du Bien-Aimé. Cette altérité maintient son désir vivant, le stimule sans cesse, et jusqu’à la fin l’appelle à la vie. « Je suis né pour naître », disait Pablo Neruda. Lorsque, sur son lit de mort, Claire demande à frère Genièvre « qu’as-tu de neuf à me dire sur Dieu ? », n’est-ce pas ce qu’elle nous dit à sa manière : j’étais née pour naître, et me voici arrivée, de désir en désir, au seuil de l’Eternelle Naissance !
Sœur Christine Daine