Témoignage d’une clarisse du Chant d’oiseau :
Ma manière de vivre un confinement qui dure
On pourrait dire que nous, clarisses, vivons déjà une sorte de confinement, par choix et non par obligation. Nous évitons les sorties inutiles pour consacrer la plus grande partie de la journée à « la quête du visage de Dieu et la communion à tout l’univers et à tous les êtres vivants ».
Nous avons choisi d’être à l’écart du monde, de son stress, de ses contraintes et de ses séductions. Un écart qui n’est pas fuite du monde mais bien au contraire une manière de « rejoindre intensément tout ce qui est profondément Humain » : la communion par la simplicité de vie, le travail et la prière, à ses joies, à ses peines, à ses espérances. Notre écart se veut donc fertile… comme un petit îlot de simplicité et de paix au cœur de monde, qui tente de préserver ce que l’Humain a de plus beau.
Un écart qui dit que la vie est belle, mais qu’il y a aussi « quelque chose de plus grand que la vie » : un quelque chose qui nous dépasse et pour lequel nous accepterions de tout risquer… Nous professons cela ! Le vivons-nous ?
Pour moi, Etty Hillesum est un bel exemple de cette confiance en un surcroît de Vie : elle a vécu et relevé ce défi, au milieu de la tourmente de l’oppression nazie :
Ce qui a pourtant changé dans ma vie ces derniers mois :
C’est une certaine tension, comme un état d’urgence, un défi qui me provoque à creuser davantage… La mort est là à notre porte, beaucoup sont touchés, nous n’allons peut-être pas être épargnées. Qu’ai-je fait de mon intuition première ?
Beaucoup de personnes, particulièrement les soignants sont en première ligne… Ils se dévouent corps et âme et se réjouissent quand un malade semble s’en sortir ; ils risquent leur santé, la sécurité de leur famille, leur vie peut-être… Quelle interpellation pour nous qui sommes appelées à tout donner dans l’amour fraternel, le souci de l’autre, l’espérance neuve chaque jour !
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Ce qui m’aide au quotidien c’est en tout premier lieu ma communauté :
Comme d’habitude, nous échangeons beaucoup entre sœurs, en parlant de l’actualité, sans doute pour exorciser nos peurs, car comme tout le monde nous avons des coups de découragement. Nous cultivons un regard lucide mais aussi positif et plein d’espérance, et aussi l’humour, le rire, la taquinerie devant notre obsession du Covid 19… Une ou deux fois par semaine nous avons un partage plus profond autour d’un texte d’Evangile ou de François d’Assise. Ces échanges stimulent notre positivité, notre attention aux autres, et par-dessus tout la confiance que tout ceci a du sens. Cela me fait le plus grand bien et je bénis mes sœurs pour ce compagnonnage si tendre et intense. A ma charge de l’intégrer !
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Ce qui m’aide beaucoup, en complément de ces échanges, c’est la méditation :
Les longs moments de silence « baignés dans la Présence intime de Dieu » m’aident à intégrer la peur, l’inconfort, l’inquiétude : quand tout cela est regardé en face, sous son regard de tendresse, quand ces sentiments ne sont pas refoulés, ils deviennent supportables et parfois, « miracle », ils s’évaporent sous mon propre regard ; non qu’ils n’existent plus mais ils sont comme « apprivoisés », intégrés avec tout le reste, car la Vie ne se résume pas à l’épreuve. Tant de choses me remplissent de gratitude. Etty, encore une fois l’exprime bien :
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Ce qui m’aide encore c’est de cultiver, au milieu de l’épreuve, un regard positif :
Et là encore Etty est « mon maître » :
L’émerveillement est à l’origine de tout. Entrer en émerveillement envers et contre tout, c’est notre seule responsabilité. L’émerveillement nous ouvre aux autres et à la vie. « Quelque chose de spacieux se révèle en nous ». Derrière tous les bruits du monde se détachant sur lui, il y a le Silence, le grand Silence plein et matriciel qui nous nourrit comme un enfant est nourri par sa mère.
Nous baignons dans une Présence dont la plupart du temps nous ne savons rien parce que nous sommes accaparés par tant de choses ; et nous pactisons avec « ça qui nous occupe ». Mais la vie n’est pas une occupation. Il ne s’agit pas seulement de vivre ou de vivoter, mais d’être des « Vivants de la Vraie Vie ». Cette « Présence » est d’une immense douceur en même temps que d’un respect absolu. Elle ne s’impose pas, elle se propose toujours. Jésus l’appelait son « Abba »… Du nom qu’un tout petit donne à son père.
Emerveillement d’une « Présence d’absence », envers et contre tout. Il faut donc accueillir la brisure, passer par l’épreuve, afin de consentir dès maintenant, aujourd’hui même, à la mort comme une « Vivante Vie », la résurrection, ainsi que l’écrit François Cheng ⃰⃰ ⃰ :
Consens à la brisure – C’est là que germera
Ton trop-plein de crève-cœur – Que passera un jour
À ton insu – la brise
Note :
⃰ Les extraits d’Etty Hillesum sont pris dans « Une Vie Bouleversée » p. 146 et 188
⃰ ⃰ Le poème de François Cheng est tiré du « Vide Médian » p. 169